Le déficit public de la France met en tension les budgets sociaux et ceux liés à l’éducation des jeunes, d’autant plus que les besoins augmentent avec la crise actuelle. Les décideurs sont donc tentés de faire des économies sur toutes les dépenses considérées comme des charges à maîtriser. De nombreux sociologues alertent pourtant sur les risques d’exclusion sociale durable de toute une partie de la jeunesse, alors même que l’on anticipe en France une baisse de la population en âge de travailler et un accroissement socialement peu acceptable du poids des retraites.
Le diagnostic habituel des difficultés d’insertion des jeunes est largement partagé :
- Échec partiel du système éducatif pour apporter aux jeunes un niveau de formation suffisant, leur permettant de s’adapter aux nouvelles technologies et à un recours croissant à l’écrit et au digital.
- Évolution des valeurs et des attentes des jeunes, qui sont davantage à la recherche de sens à donner au travail, à l’équité, et à des relations professionnelles participatives plutôt qu’autoritaristes.
- Transformation de la société en raison de l’érosion progressive du lien social, à la fois au sein des familles, entre les générations et entre les classes sociales.
Face à ces difficultés, les valeurs républicaines de méritocratie, d’égalité et de fraternité sont mises à mal. On peut notamment citer quelques faits :
- Montée du taux de chômage des jeunes de 18 à 25 ans à un niveau supérieur à 20 % en France, ce qui a des effets délétères sur les perspectives d’emploi futur, en particulier dans les quartiers défavorisés où le taux de chômage des jeunes dépasse parfois 50%.
- Augmentation de la violence et des actes d’incivilité de plus de 60 % au cours des dix dernières années.
- Progression des addictions et des conduites à risque, notamment avec la consommation et le trafic de drogue ou d’alcool, avec les impacts futurs sur la santé de cette génération.
Dans le cadre des politiques économiques d’inspiration néo-classique, telles qu’elles sont pratiquées en France, ces difficultés nécessiteraient des augmentations de budget publics considérables : augmentation des indemnités de chômage, salaire minimum de survie, indemnisation des coûts actuels et futurs liés à la santé, augmentation des effectifs de police pour tenter de contenir les violences urbaines, etc. Même en sous-traitant à des entreprises privées, les activités de sécurité et de mise à niveau des compétences dans une logique de « new public management » le volume de ressources nécessaires conduirait rapidement à une impasse budgétaire.
Des innovations sont donc nécessaires pour aider la France à surmonter le grave dysfonctionnement du manque d’insertion des jeunes. C’est le cas par exemple des expérimentations réalisées par le centre de recherche ISEOR pour construire une ingéniérie du management de l’insertion conciliant les objectifs sociétaux d’insertion des jeunes et les objectifs économiques de réduction des budgets.
Ces expérimentations comprennent trois étapes :
- Le calcul des coûts cachés à court terme et à long terme induits par le manque d’insertion : ce montant dépasse parfois le million d’Euros par personne. Il est calculé au moyen de la méthode qualimétrique, consistant à impliquer de façon interactive toutes les parties prenantes pour la collecte des données.
- La réalisation d’un effet-miroir auprès des acteurs du territoire concernés par les actions d’insertion des jeunes : cela leur permet de prendre conscience de la nécessité de mieux coopérer. En particulier, cela permet de construire des projets territoriaux pour synchroniser les processus et actions relevant de la construction d’un projet de chaque jeune, de la formation intégrée, de l’apprentissage des règles de vie en société, et de l’insertion dans l’emploi.
- La mise en place d’outils de pilotage socio-économique des actions au niveau des quartiers et des territoires, afin de relier des données fragmentaires. Par exemple, les outils de balances socio-économiques montrent la très forte rentabilité à court et à long termes des actions d’insertion lorsqu’elles sont bien synchronisées, ce qui apporte à la fois de la création de valeur économique et une amélioration de la performance sociale.
Il s’agit donc d’informer les décideurs publics et les élus à ces méthodes innovantes d’investissement en développement du Potentiel Humain.
Références
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Bonnet, M. & al. (2003). Enhancing the efficiency of networks in an urban area through Socio-Economic interventions. Journal of Organizational Change Management, Vol 16, N°1: 72-82.
Savall, H., Péron,M., Zardet,V., Bonnet, M. (2015). Socially Responsible Capitalism and Management. Routledge.
Savall, H., Zardet, V. Bonnet, M. ( dir). (2016). Entreprises, valeurs et prospérité. Economica
Abjean, A.; Bonnet, M. ; Rochat, J. ; Salmeron, J. ( 2017). Évaluer la performance cachée des structures d’insertion en tant qu’investissement en prévention de l’exclusion. Colloque IIC-American Accounting Association-Iseor.