Contexte et objectifs
Le projet DULCE s’intéresse à la mise à disposition de données de consommation, aujourd’hui proposée par des acteurs publics et privés, et au changement des pratiques énergétiques domestiques. Il interroge les conditions d’adoption de ses données de consommation sous un angle pluridisciplinaire, à travers la psychologie, la sociologie et les Sciences de l’ingénieur.
Le projet est construit autour de la mise à disposition de données de consommation et de confort dans un format innovant. Il s’intéresse en particulier aux changements de pratiques énergétiques en observant et évaluant la mise à disposition de données chez des foyers volontaires, en interrogeant les enjeux matériels et géographiques du déploiement des dispositifs d’accompagnement aux changements et leur articulation.
Méthodologie
Le dispositif d’enquête pluridisciplinaire combine instrumentation des foyers, enquêtes sociologiques (via des entretiens de type ethnographique) et psychologiques (via des questionnaires). Nous proposons donc une analyse croisée de données qualitatives et quantitatives, issues d’une approche mêlant psychologie sociale, sociologie et Sciences de l’ingénieur.
La recherche implique des foyers volontaires, recrutés au sein d’une communauté de communes de Bretagne. Ces foyers ont été équipés pendant presque 2 ans de capteurs enregistrant les consommations générales d’électricité et de gaz ainsi que les températures et l’humidité intérieure et extérieure. L’instrumentation était sans fil, non intrusive, facile et rapide à déployer et maintenir. Nous avons porté une attention particulière au parcours des données de consommation et de confort, depuis la collecte et jusqu’à la restitution finale aux membres des foyers, en traitant les données de manière anonyme. L’instrumentation se voulait volontairement légère mais qualitative.
Nous avons proposé aux foyers instrumentés de recevoir leurs consommations d’électricité, de gaz, et de confort sous format de livret, un par saison. Les données restituées étaient des informations consolidées et agrégées sur des périodes assez longues, en s’appuyant sur des données collectées finement (pas de temps 10 minutes). Il s’agissait de : données de consommations journalières, données de consommation horaires, en semaine vs. week-end, une synthèse des deux éléments précédents (consommation journalière et horaire), températures intérieures et extérieures (moyenne, minimum et maximum), humidité relative intérieure et extérieure (moyenne, minimum et maximum) et une synthèse des données de température et humidité relative représentant le confort.
Un groupe contrôle a été recruté en fin d’expérimentation pour consolider les données, il n’était pas instrumenté.
Principaux enseignements
La mise à disposition de données de consommation participe plutôt à une culture de l’énergie
La mise à disposition de données de consommation constitue un levier favorable aux changements durables dans nos manières de consommer l’énergie mais le bénéfice des informations se situerait moins dans les économies liées aux actions immédiates ou de court terme, même si elles peuvent être bien réelles, que dans la constitution d’une culture de l’énergie acquise par apprentissage sur un temps long. Autrement dit, on peut espérer beaucoup plus de bénéfices, même s’ils restent difficiles à quantifier, d’une montée collective et individuelle en compétences que de la mise en œuvre d’actions immédiates, certes mesurables mais souvent réversibles.
La mise en forme des données est un enjeu central
L’hypothèse généralement admise est que le dévoilement des données techniques pourrait à lui seul provoquer une prise de conscience et une rationalisation des comportements énergétiques. Or, ces données techniques « objectives » se heurtent à des représentations sociales qui structurent les modes de vie et donnent sens ou au contraire font obstacle à ces informations. Proposer une information ne garantit donc pas son appropriation, encore moins la qualité de son interprétation et la pertinence des actions mises en œuvre. Il ne suffit pas de rendre les données de consommation simples, attractives, ludiques pour qu’elles soient accessibles. Il convient donc de réfléchir à des mises en forme alternatives pour lever les obstacles repérés. Nous avons par exemple testé l’absence d’unité de valeur sur les visuels concernant la consommation d’énergie en faisant l’hypothèse que ces dernières faisaient plus obstacle à la compréhension qu’elles ne facilitaient l’interprétation. Il apparait que seule une minorité de personne ont remarqué l’absence d’unité de valeurs et que, parmi ces dernières, très peu se sont déclarées gênées ou déstabilisées. L’absence d’unité de valeur laisse chaque lecteur libre de projeter ses propres références sans qu’une unité de valeur non maîtrisée vienne faire obstacle à la compréhension.
Des risques induits à ne pas négliger
Les risques induits sont en effet tout aussi nombreux que les bénéfices que l’on peut en attendre car les données de consommation et les façons de les présenter ne sont pas neutres. Incompréhension, décision contre-productive, surconsommation, effet rebond, sentiment de perte de maîtrise de son environnement peuvent être observés. Lorsque l’injonction au changement (comparaison avec les autres par exemple) est comprise comme une injonction morale difficile à atteindre, les informations peuvent induire un sentiment de honte et de disqualification sociale. Les modalités de représentations des données testées dans le cadre de l’expérimentation DULCE semblent échapper à cet écueil mais peuvent produire en contrepartie un sentiment d’impuissance chez les personnes qui ne s’estiment pas compétentes.
Lolita Rubens, Johanna Le Conte, Christèle Assegond et Raphaël Salvazet