L’innovation organisationnelle et managériale en ce qu’elle introduit une nouvelle pratique organisationnelle ou managériale a souvent pour corolaire l’émergence de résistances. Quelles sont ces résistances et plus particulièrement qui sont ces opposants qui empêchent un projet de se développer ? Comment réussir à surpasser ce phénomène ? Pour apporter une meilleure compréhension à ce phénomène, nous avons menés 32 entretiens avec des parties prenantes à des projets d’innovation organisationnelle. Ces entretiens semi-directifs ont durée en moyenne une heure et vingt minutes nous ont donné un éclairage intéressant sur ces questions.
Au terme de ces entretiens, l’analyse en cours laisse apparaître trois contributions. Premièrement l’opposition à l’innovation organisationnelle s’incarne de trois manières : hostile, inertielle et loyale. Alors qu’avec la première l’opposant se montre dogmatique et frontale dans son action avec la seconde il adopte une position de retrait entrant la dynamique d’adhésion à l’innovation organisationnelle. A l’inverse dans le dernier cas, il s’oppose en cherchant à amender le projet dans un sens qui lui convienne. Deuxièmement, l’opposant comme un porteur d’innovation mobilise un ensemble de soutiens qu’il pilote faisant preuve de capacités politiques fortes. Enfin, ce rôle d’opposant rime avec une trajectoire de carrière souvent peu favorable.
Innovation organisationnelle et RH, un tandem facteur de performance
L’innovation, considérée comme un facteur de performance, est au cœur des préoccupations des entreprises. Au demeurant, l’emploi du vocable innovation est utilisé pour évoquer l’innovation technologique. Mais, à la lumière des résultats de l’enquête « Community Innovation Survey (C.I.S.) » menée en France par l’I.N.S.E.E. pour Eurostat, force est de constater que l’innovation organisationnelle et managériale représentent une part importante des innovations en France puisque « les sociétés innovent plus fréquemment en organisation ou marketing (42 %) qu’en produits ou procédés (33 %) » (Duc, 2018).
L’innovation managériale ou organisationnelle est donc une innovation non-technologique qui ambitionne de modifier les politiques d’entreprise ou la pratique managériale autrement dit ces innovations concourent à la transformation d’une organisation. Si innovation et RH semblaient incompatibles à l’aune de l’innovation technologique, il s’avère que les ressources humaines investissent dorénavant le champ de l’innovation et contribuent à la transformation organisationnelle.
Si ces transformations sont pilotées par des agents du changement, comme le champion (Howell & Higgins, 1990), elles ne se développent pas sans difficultés. Dans l’écosystème d’innovation, les agents du changement sont nombreux. Afin de comprendre leur contribution, l’analyse de ces acteurs et de leurs relations est nécessaire.
Il n’y a pas d’innovation sans acteur. Ce travail d’analyse des acteurs a été initié dans les années 1960. Toutefois, l’analyse de l’opposition, de son incarnation dans le rôle d’opposant, est encore timide à ce jour. Pourtant, développer une meilleure compréhension de ces agents perturbateurs est nécessaire et indispensable pour permettre une mise en œuvre plus rapide et efficace des projets innovants. Pour cela, il convient préalablement de prendre en considération des raisons qui expliquent non seulement leur émergence mais aussi leurs comportements et leurs finalités. L’implication opérationnelle d’une telle recherche et de permettre un alignement plus rapide de la nécessaire transformation organisationnelle avec la stratégie de l’entreprise.
L’opposant, un acteur au centre d’un écosystème
Le rôle d’opposant semble s’être construit en miroir de celui de champion. Sa stratégie notamment d’influence semble se calquer sur celle du champion. Si au début de notre recherche, l’opposant nous apparaissait comme un acteur isolé, marginalisé par le champion, il est rapidement devenu évident qu’il n’en est rien et, comme pour le champion, c’est tout un écosystème qui se dessine.
Ainsi, de même que dans l’écosystème du champion, l’opposant (s’) est entouré de nombreux acteurs. L’opposant articule autour de lui des acteurs en vue de porter et disséminer l’opposition. Pour ce faire, il utilise comme relais d’informations internes, comme des membres de son équipe ou encore des élus du personnel, mais aussi externes, sur certains projets étudiés, des personnalités politiques locales ou le recours à la presse locale ont été autant de leviers utiles pour exercer son opposition à un projet d’entreprise.
Trois nuances d’oppositions
L’opposition hostile. Pris dans son sens littéral, l’opposition est l’action par laquelle on met des obstacles. En ce sens, une des manifestations de l’opposition réside dans l’hostilité. Une hostilité qui est farouche et qui n’a d’autres objets que de s’opposer à la transformation organisationnelle. En tant que manager, il faut dépasser cet état de fait pour comprendre les ressorts de cette forme particulière que prend l’opposition. Cette hostilité trouve son origine dans des justifications assez variées. Les plus courantes demeurent la mise à l’écart du projet et à la perte de pouvoir.
L’opposition inertielle. Cette force d’inertie qui empêche l’innovation organisationnelle de se mettre en place trouve son origine dans des contextes particuliers : celui de la multiplication des projets d’innovations organisationnelles. En effet, les organisations particulièrement dynamiques qui enchainent les projets en vue de conserver notamment leur avantage concurrentiel génèrent comme externalité négative la démotivation des acteurs. La succession de projets lourds et chronophages épuisent et ce plus particulièrement lorsque les projets précédents n’ont pas eu le succès escompté.
L’opposition loyale.Si dans son sens premier l’opposition s’entend comme hostile ou qui a trait à deux éléments qui ne peuvent coexister sans se nuire, il semble pouvoir en aller différemment dans la mise en place d’innovation organisationnelle.
C’est en effet un registre coopératif de l’opposition qui ressort de nos entretiens et qui rejoint les résultats de Markham (2000 ; 1991). A contre-courant des représentations que l’on se fait, il ressort de notre étude que le rôle d’opposant loyal se retrouve fréquemment au sein des représentants du personnel. Si bien entendu l’opposition hostile des IRP peut s’inscrire dans la veine des militants ardents et combattants, ce sont aussi des représentants experts que les porteurs de projets peuvent avoir face à eux. Ils sont experts en ce que c’est une manière pour eux d’être consultés et de voir reconnues des compétences et des situations qu’ils vivent au quotidien.
Une trajectoire de carrière corrélée à la modalité de l’opposition
Chacune des trois modalités d’expression de l’opposition a pu avoir, avec plus ou moins d’intensité, des conséquences sur la carrière des opposants.
La fidélité paye, c’est ainsi que pourrait se résumer les conséquences d’une opposition loyale. Dans quelques cas, l’opposant a vu sa carrière évoluer ou prendre une nouvelle trajectoire. Ainsi en va-t-il d’un représentant du personnel qui au terme de son mandat s’est vu proposer une mutation au sein des ressources humaines. De la même manière, des opposants ont pu suivre un parcours de formation en gestion de projet et ont pu évoluer, au sein d’organisation, dans ce domaine d’activité comme chargé puis chef de projet.
L’inertie et l’opposition hostile des acteurs en revanche, elle, ne paie pas voire, pour certains de ceux qui fait le choix de ne rien faire, il leur en a couté. En effet, une partie des opposants que nous avons étudié ont quitté l’organisation dans les mois qui ont suivi. Licenciés, ils laissent apparaitre l’impression que leur manque d’implication a été l’élément déclencheur des procédures qui ont été initiées. En l’état actuel de l’analyse, il nous semble que le champion ne semble pas souffrir la contradiction surtout lorsque cette dernière n’a pas vocation à porter son projet. Ainsi, pour toutes les occurrences d’opposants étudiées, dès lors que le choix de l’opposition hostile a été préférée aux deux autres, l’opposant a quitté l’organisation durant ou à la suite du projet.
Il ressort donc que selon la modalité avec laquelle s’exerce l’opposition, la trajectoire de carrière se trouvera affectée avec autant d’intensité.
En conclusion, l’opposant est un acteur à comprendre et à considérer. En dehors d’une opposition pure et dure pour tenir une posture dogmatique, l’opposition doit être accueillie et entendue. Les porteurs de projets innovants peuvent avoir un intérêt, tant dans l’avancement du projet que de son succès, à la prendre en compte car ce rôle et la compréhension des raisons de son émergence sont potentiellement autant de résistance au changement futur qui seront gommées.
Sébastien Knockaert et François Grima
Références
Duc, C., (2018), « La moitié des sociétés procèdent à des innovations », Insee Première, n° 1709, Septembre 2018.
Howell, J. M., & Higgins, C. A. (1990). « Champions of Change : and Supporting Champions Innovations. » Organizational Dynamics.
Markham, S. K. (2000). « Corporate Championing and Antagonism as Forms of Political Behavior: An R&D Perspective. » Organization Science, 11(4), 429–447. https://doi.org/10.1287/orsc.11.4.429.14599
Markham, S. K., Green, S. G., & Basu, R. (1991). « Champions and antagonists : Relationships with r&d project characteristics and management. » Journal of Engineering and Technology Management, 8(3–4), 217–242. https://doi.org/10.1016/0923-4748(91)90012-G