Pourquoi il est essentiel de faire dialoguer les entreprises et la recherche ?
Dans un environnement économique où la compétition internationale s’intensifie et où les frontières technologiques s’effacent, la question n’est plus de savoir si les entreprises doivent travailler avec la recherche, mais comment accélérer ce rapprochement. Les concurrents internationaux l’ont bien compris : ceux qui dominent durablement leur marché ne sont pas seulement de bons commerciaux ou de bons stratèges, ce sont aussi ceux qui savent mobiliser la connaissance scientifique comme un levier d’innovation, de performance et de souveraineté. En Europe, et particulièrement en France, ce dialogue reste encore trop souvent hésitant et empreint d’aprioris. Pourtant, il devient une condition sine qua non pour assurer la solidité des innovations, anticiper les transformations futures et sécuriser les chaînes de valeur.
L’innovation : un enjeu de marché, mais d’abord un enjeu de robustesse
Dans l’entreprise, l’innovation est souvent abordée sous l’angle du marché : comment répondre plus vite aux besoins clients ? Comment se différencier ? Comment augmenter la part de valeur captée ? Si ces questions sont légitimes, elles occultent trop souvent une dimension essentielle : la solidité de l’innovation. Si une innovation peut séduire à court terme, seule une innovation scientifiquement fondée, techniquement validée, méthodologiquement éprouvée tient la distance.
C’est là que la recherche joue un rôle structurant[1]. Elle permet d’aller au-delà de l’intuition ou de la veille concurrentielle : elle établit des fondations solides, éclaire les zones d’incertitude, ouvre des perspectives nouvelles. Dans un monde où les cycles technologiques se raccourcissent, s’appuyer sur la recherche, c’est réduire les risques de fragilité, d’obsolescence ou de dépendance.
Un environnement instable qui exige anticipation et lucidité
Le XXIᵉ siècle impose aux entreprises de naviguer dans un environnement complexe : tensions géopolitiques, ruptures technologiques[2], cybermenaces, évolutions réglementaires, attentes sociétales mouvantes, transformation des comportements d’achat. Ces tendances impactent toutes les entreprises, que l’on soit en BtoB ou en BtoC. L’instabilité n’est plus une exception, c’est devenu la règle. La question devient alors : comment anticiper les chocs plutôt que les subir ?
Dans ce contexte, la recherche constitue un outil majeur d’anticipation. Les chercheurs travaillent sur le temps long : ils détectent des signaux faibles, modélisent des tendances, éclairent les conséquences possibles d’une décision d’investissement, d’une orientation stratégique ou d’un choix technologique. Dans un contexte où les attaques – économiques, numériques, informationnelles – se multiplient, la recherche apporte des clés pour renforcer la résilience des organisations[3].
Des compétences multiples, bien au-delà de la dimension technique
Trop souvent, les entreprises résument les chercheurs à leurs compétences techniques. C’est une vision réductrice. Les chercheurs apportent aussi des compétences méthodologiques, essentielles pour structurer l’innovation, objectiver les choix et fiabiliser les données ; des compétences humaines, fondées sur la collaboration, l’analyse critique, l’éthique et la rigueur ; des compétences scientifiques, évidemment, mais également cognitives, utiles pour penser hors du cadre et revisiter les modèles établis.
Avez-vous déjà essayé de faire travailler un chercheur avec une équipe projet ?
Le résultat vous conduira à formuler de nouvelles hypothèses, à débusquer les angles morts et à structurer votre démarche d’innovation. Ce n’est pas un gadget ; c’est un multiplicateur de performance.
Des préjugés réciproques… mais les lignes bougent
Il serait naïf d’ignorer les a priori qui persistent entre les deux univers.
Les entreprises considèrent encore parfois les chercheurs comme trop théoriques, éloignés des réalités opérationnelles. Les chercheurs, de leur côté, se méfient du court-termisme supposé des entreprises et préfèrent rester à l’abri dans leurs laboratoires ou leurs universités. Cette distance culturelle freine la création de valeur.
Mais les lignes bougent. Des initiatives se multiplient pour réduire cette fracture : chaires partenariales, laboratoires communs, programmes de valorisation, établissements publics et privés dédiés à la recherche collaborative, dispositifs d’innovation ouverte, consultants spécialisés dans l’hybridation science–entreprise. Le dialogue n’est plus cosmétique ; il devient stratégique.
Un enjeu de performance, d’efficacité… et de souveraineté
Rapprocher les entreprises et la recherche n’a rien d’un choix idéologique ou d’un exercice de communication. C’est une question de performance : mieux innover, plus vite, avec moins de risques, et plus de profondeur. C’est aussi une question d’efficacité : la recherche permet de rationaliser les décisions, d’éviter les impasses technologiques, de structurer des innovations durables[4]. Enfin, c’est un enjeu de souveraineté : sans maîtrise scientifique, une entreprise dépend de technologies extérieures, vulnérabilisant sa chaîne de valeur.
L’erreur serait de croire que cette réalité ne concerne que les entreprises technologiques. La recherche irrigue tous les secteurs : agriculture, logistique, assurance, formation, industrie culturelle, sport, énergie, mobilité, textile, immobilier… Toute activité s’appuie désormais sur une connaissance scientifique, qu’elle soit sociale, technologique, environnementale ou comportementale. Ignorer cette transversalité reviendrait à renoncer à comprendre le monde qui arrive, et donc renoncer à saisir des opportunités émergentes.
Construire des ponts plutôt que des silos
La construction de ponts repose sur une conviction essentielle : la valeur naît dans la rencontre. Faire dialoguer entreprises et chercheurs permet aux besoins du terrain de rencontrer la profondeur du savoir, de tisser un langage commun et de transformer des intuitions en preuves, puis des preuves en leviers de croissance.
S’appuyer sur une recherche flexible ouvre plusieurs voies : partenariats avec une université ou un laboratoire, embauche d’un chercheur, notamment via une thèse CIFRE, ou collaboration avec des consultants scientifiques capables de traduire la recherche en solutions opérationnelles. Chaque option présente des atouts et des contraintes, et mérite d’être évaluée avec attention pour choisir la forme de collaboration la plus alignée avec les objectifs, les ressources et la maturité du projet.
Dans un contexte où l’incertitude devient structurelle, la collaboration entre entreprises et recherche n’est plus un choix mais une nécessité : elle garantit une innovation plus robuste, anticipatrice et durable. Ceux qui s’en saisissent prennent une longueur d’avance ; les autres la subiront.
Références
[1] Régis Réau, Recherche et innovation : notre avenir !, intervention au Collège de France, 2019.
[2] La Fabrique de l’Industrie, Recherche publique et entreprises : une coopération à renforcer, 2022.
[3] Quentin Plantec, Couplages science – industrie à double impact : modélisation et tests empiriques, thèse de Doctorat, 2021.
[4] Olivier Meier, Innover, c’est bien. Rester au sommet, plus difficile, Xerfi Canal 18 février 2025.

