Sur les pratiques de formation dans la Fonction Publique Territoriale (FPT) très peu de connaissances sur ce sujet ont été produites. En effet, si le Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) propose régulièrement un contenu à destination des collectivités (études statistiques et propositions d’outils), les travaux de recherche indépendants et académiques sont plus rares. Les derniers travaux identifiés remontent à une vingtaine d’années. Ces premiers constats nous ont convaincu sur l’intérêt de mener une recherche sur les dynamiques individuelles de formation dans ce secteur. Cédric Frétigné et Emmanuel de Lescure apportent dans un article publié dans la revue Savoirs des pistes de compréhension sur ce faible intérêt pour la formation dans la Fonction Publique Territoriale
Lorsque l’on évalue les effets de la formation sur la réduction du chômage, les résultats sont plus que minimes ; et lorsque l’on entreprend de mesurer ses incidences sur la mobilité́, l’effet est très largement réduit puisque, [dans le champ de la FPT], la promotion précède fréquemment la formation. De tels constats sur l’incapacité́ de la formation à tenir ses promesses en termes de mobilité́ sociale et de résorption du chômage pourrait également expliquer ce faible intérêt.
Une étude menée au sein d’une collectivité territoriale du Val de Marne entre 2017 et 2024, à partir de réponses à un questionnaire auprès des agents et d’une trentaine d’entretien s’est intéressée aux questions de la formation de ses agents.
L’étude a montré que les choix de formation des agents peuvent être considérés comme des « constructions de dynamiques individuelles de formation ».
Les entretiens sociobiographiques réalisés retracent les différentes étapes dans le parcours de l’agent. Ils montrent que les agents sont pris dans des processus d’interaction et d’interdépendance avec la collectivité. Par exemple, des entretiens permettent de constater les liens que les familles entretiennent avec la fonction publique territoriale, avec la proximité de la mairie avec leur lieu de résidence et la conjugaison à un moment donné d’un besoin de la collectivité venant répondre à un besoin pour l’agent.
Les dynamiques individuelles de formation émergent à des moments particuliers du parcours des agents, entre autres, lors de l’entrée ou la sortie de la collectivité, lors d’un changement de poste ou de service. Ces moments apparaissent comme des étapes dans les processus d’interdépendance et d’interaction entre l’agent et la collectivité. Ceux-ci se caractérisent par différents facteurs : sociaux, économiques, culturels, géographiques, spatiotemporels, inter-individuels, de promotion sociale. ».
Par exemple, un agent de cette collectivité est amené à prendre de nouvelles fonctions au sein de sa direction par la conjonction de plusieurs facteurs. La collectivité peine à recruter sur ce poste (tension sur le marché du travail, manque d’attractivité et de visibilité). Pour l’agent ce changement de poste constitue une progression est répond à une volonté de promotion sociale. De plus, il connait déjà la collectivité et en partie le poste pour travailler dans la même direction. Dans ce cas, les facteurs économiques, spatiotemporels et de promotion sociale apparaissent significatifs.
Pour cet agent, le changement de poste l’oblige, légalement et dans un délai contraint, à suivre plusieurs journées de formation. Les choix de ces journées de formation sont conditionnés par les possibilités offertes dans le catalogue du CNFPT. L’agent effectue son choix de manière isolée (il indique ne pas recevoir d’aide ou d’orientation de la part de sa direction) en fonction de sa perception de la pertinence des formations possibles dans les délais qui lui sont imposés.
Dans ce cas comme dans les autres situations observées, la configuration observée dans cette collectivité se caractérise par un paradoxe entre d’un côté, un secteur perçu comme très normé (la FPT) et de l’autre, une absence d’orientation en matière de formation au sein de cette collectivité.
Cette configuration constitue pour les agents une contrainte organisationnelle qui influence les dynamiques individuelles de formation, et les dynamiques de projection relatives à la formation. Les agents peuvent ainsi s’engager dans les dynamiques suivantes : formations inscrites dans les relations humaines, autoformation, participation à des sessions de formation organisées par la collectivité et/ou par des partenaires (CNFPT ou autres organismes de formation privés)
La description détaillée des pratiques en matière de formation souligne l’absence d’une orientation politique dans ce domaine. Cette absence de directives conduit à deux types de processus :
– La recherche d’une mise en conformité par rapport au cadre légal relatif à la formation dans la FPT
– La présence de dynamiques individuelles de formation portée uniquement par les agents que nous qualifions d’isolées, d’incertaines ou de restreintes.
L’étude montre ainsi que la compréhension des dynamiques individuelles de formation dans les collectivités territoriales devrait plutôt être pensé à partir d’une approche causale circulaire et non pas linéaire. Se trouvent ainsi liées dans cette causalité circulaire d’une part les dynamiques individuelles de formation et, d’autre part, les configurations contextuelles liées aux interactions et aux interdépendances.
Bibliographie
ELIAS Norbert, La société́ des individus, Paris, Pocket, « Agora », 2004, 320 p.
FRETIGNE Cédric et LESCURE Emmanuel de, « Sociologie et formation en France », in Savoirs, n° 15, 2007, p. 9‐55.
HEINICH Nathalie, La sociologie de Norbert Elias, Nouvelle édition., Paris, Éd. la Découverte, 2010.