Entretien mené par Denis Cristol
Aujourd’hui qu’est ce qui est important pour vous dans votre métier ?
Après un parcours diversifié en tant que policier, mais aussi comme acteur de sécurité globale, cadre de sécurité territorial et chargé de formation interministérielle et interprofessionnelle, je me rends compte qu’au fil des années j’ai forgé une identité professionnelle porteuse des valeurs qui me caractérisent. C’est tout l’objet de ce qui est important pour moi : mettre mes valeurs d’entraide, d’ouverture, d’écoute, de solidarité, mais aussi d’empathie, de bienveillance et de fraternité, au service de causes et d’actions pour lesquelles je souhaite agir afin d’y apporter mes petites pierres à l’édification de projets communs.
Comment un territoire apprend ?
Apprendre, pour un territoire, passe toujours par l’enjeu de la mise en œuvre d’une « intelligence collective ». De quels territoires parle-t-on pour étudier l’exercice de la mise en œuvre de cette intelligence ? Un territoire local (une commune) ?, un département ? une région ?… Si, au niveau collectif, à l’échelle d’un territoire, on ne sait pas toujours que l’on apprend, il est certain qu’il y a un bien commun reposant sur un triptyque de connaissances, d’expériences et de compétences. Pour autant, il me semble qu’un territoire commence à apprendre réellement lorsque le plus grand nombre de personnes y vivant et/ou y agissant, porte un regard collectif, prospectif et réflexif sur et à partir de ce triptyque. C’est ce qui ressort de l’analyse d’initiatives portées, par exemple, par l’UNESCO dans le cadre du programme sur les villes apprenantes. Pour ma part, dans le contexte de la crise sanitaire, j’ai eu l’occasion de réfléchir à la mise en œuvre d’un programme de développement de la résilience territoriale sur les territoires. Dans ce projet, l’apprentissage territorial repose sur trois piliers : l’observation et la veille (comprenhesion et proaction), la formation et l’accompagnement (du plus grand nombre d’acteurs concernés), l’organisation d’ateliers d’intelligences collectives et d’implications citoyennes. A chaque fois, on y apprend parce qu’il y a pratique. L’esprit et la main.
Que risque t-on à ne pas innover ?
Est-ce que finalement, innover n’est pas « faire du neuf avec du vieux » ? Du coup, le risque à ne pas innover est tout simplement de rester statique, de ne pas comprendre la nécessité d’adapter l’existant au nouveau, à l’imprévu, à l’évolution du besoin et de la demande. L’autre enjeu, lorsque l’on refuse cette évolution, est de rester dans le quant à soi individuel ou collectif. Un individu ne se remettra pas en question par peur du changement. Une entité pourra rester ethnocentrée pour les mêmes raisons. Je suis policier depuis plus de trente ans. La police est une institution porteuse de valeurs dont les missions sont essentielles dans une démocratie. C’est aussi une institution d’autorité et qui exerce des prérogatives de la force et donc de pouvoir exorbitantes du droit commun. Face à l’évolution de la société, des citoyens, des problématiques, cette institution est aujourd’hui un exemple d’une structure au sein de la laquelle ses membres doivent innover tout en préservant leurs fondements et leurs raison d’être. J’ai participé au projet « Policité » et il me semble nécessaire de développer des initiatives de participation citoyenne sur le sujet du rapport police-population. Dans ce domaine, à ne pas innover, nous pourions voir se démultiplier des évènements de violences urbaines et/ou nous pourrions assister à des réactions exclusivement répressives dont on sait qu’elles ne peuvent traiter le fond des problèmes. La sécurité publique est un bien commun qui risque d’être confisqué par des « spécialistes » et/ou des politiciens hors champs démocratique et républicain, si l’on ne devait pas innover.
Quelle intelligence collective susciter pour créer de nouvelles valeurs ajoutées sur le territoire ?
Pour répondre à cette question, je vais m’appuyer sur deux métaphores : celle du brainstorming, littéralement « la tempête dans un cerveau » et celle des connexions neuronales qui pourrait, d’ailleurs, en être déclinée.
La création de nouvelles valeurs ajoutées sur le ou les territoires sera permise grâce à l’intelligence collective, elle-même stimulée par des collectifs capables d’organiser des débats, des altérités fructueuses. Pour cela des dynamiques territoriales impliquant le plus de citoyens possible doivent être générées. Des décideurs doivent impulser des conférences citoyennes, voire accepter que ces initiatives viennent des citoyens eux-mêmes. Des exemples de réussite existent et démontrent que c’est possible. Je pense notamment à la pratique de la démocratie participative initiée par Jo Spiegel lorsqu’il était maire de Kingersheim (de 1989 à 2020) ou à la convention citoyenne mise en œuvre en Occitanie.
Les sujets à aborder sont souvent liés à des thèmes du quotidien. Pour autant, dès lors qu’ils impliquent différents protagonistes et qu’ils suscitent des tensions, ils deviennent complexes. Au regard de la démultiplication des facteurs de complexité, il nous faut développer :
– une vision globale (intelligence collective permettant une vision à 360 degrés) adaptée au local (la vraie vie, pas seulement celle de la carte, mais celle du territoire) ;
– les confrontations (par une gestion des altérités) notamment intergénérationnelles (articulation de l’expérience, de la sagesse, avec celle de la jeunesse, du nouveau, de l’énergie) ;
– les hybridations en articulant les interdisciplinarités (articulation des cœurs de métiers) avec les transdisciplinarités (sujets transverses à appréhender pour mieux les traiter).
Dans cette vision de l’intelligence collective au service d’un territoire, toutes les parties prenantes d’un territoire sont invitées à articuler le global, le local, l’individuel, le collectif, deuxième métaphore, dans une altérité maitrisée (le brainstorming), première métaphore.