Interview

A propos de Chatelain-Ponroy S., Gibert P., Rival M., Burlaud A. (dir.) (2021), Les grands auteurs en management public, Éditions EMS.

L’ouvrage « Les grands auteurs en management public » est paru fin août 2021 aux éditions EMS. Vous l’avez dirigé avec Patrick Gibert, Madina Rival et Alain Burlaud. Pourquoi un tel ouvrage ?

Nous connaissons toutes et tous, par nos fonctions de chercheurs et d’enseignants, cette belle collection des éditions EMS qui permet d’approcher une discipline ou un champ en invitant ses lecteurs à en (re)découvrir les travaux majeurs et en leur proposant des clés de lecture pour accéder aux œuvres des auteurs retenus. Il y manquait, selon nous, un ouvrage consacré au management public et aux grands auteurs ayant contribué à sa construction. Nous avons donc soumis l’idée aux éditions EMS qui l’a retenue, ce dont nous sommes très heureux et honorés.

Cet ouvrage s’imposait selon nous pour montrer en quoi le management public est davantage qu’un champ d’application du management des entreprises avec lequel il entretient une relation complexe, faite d’emprunts comme de distanciation mais aussi d’apports, en particulier quand l’entreprise s’interroge sur sa responsabilité sociale et environnementale. Dans l’ouvrage nous voyons aussi que le management public emprunte également, sous un angle qui lui est propre, à bien d’autres disciplines : science politique, sociologie, droit et économie en particulier. Nous avons donc conçu l’ouvrage en retenant 34 « grands auteurs » dont la diversité témoigne des évolutions permanentes qui traversent le management public, de sa formation au fil d’une longue histoire et de multiples apports disciplinaires. L’œuvre de chacun de ces auteurs est présentée dans un court chapitre qui en donne les éléments essentiels et propose des lectures complémentaires pour les lecteurs qui souhaiteraient approfondir tel ou tel apport. L’ouvrage s’adresse donc aux chercheurs, jeunes comme confirmés, aux étudiants mais aussi aux acteurs publics ou aux citoyens soucieux d’une approche rigoureuse de la chose publique.

Que peut-on en retenir en termes d’enseignements pour le management public ?

Comme je le disais il y a un instant la très grande diversité des apports, des disciplines, des conceptions mêmes de ce qu’est le management public rend délicat l’exercice d’en extraire une unité d’enseignements. Ce que l’on peut en dire en revanche c’est que le management public est intimement lié aux thèmes de la puissance publique, de la démocratie et de leurs limites et qu’en ce sens il devrait être au cœur de nos préoccupations citoyennes et de recherche. Pourtant ce que montre l’ouvrage c’est qu’il est souvent méconnu, parfois contesté dans sa spécificité et insuffisamment visible dans les supports académiques. L’ouvrage s’efforce de mettre en valeur le fait que le MP possède une identité propre qui va au-delà de la simple concaténation des apports et emprunts dont il se nourrit. Pour cette raison nous avons choisi de faire du paradigme du management public le fil directeur de notre construction, de l’organisation raisonnée que nous avons proposée pour cet ouvrage. On y trouvera ainsi des auteurs ayant fait des apports utiles voire fondamentaux au management public alors même que celui-ci n’existait pas encore comme paradigme et d’autres qui se considèrent comme des spécialistes du management public, ou encore des auteurs intéressés par l’analyse de politique, fondateurs du paradigme du management public, et d’autres ayant apporté au management public le « raisonnement organisationnel ».

De même, dans cet ouvrage nous consacrons au management public une longue introduction qui nous permet de mettre en valeur la construction progressive de l’identité de cette pratique / cet art / cette science que Patrick Gibert définissait en 2002 comme « l’utilisation, professionnalisée, des acquis des sciences sociales, politiques et économiques – médiatisées ou non par des méthodes de gestion – en vue d’améliorer la performance des politiques publiques et pour cela celle des organisations publiques ».

Finalement, l’approche management public telle qu’elle se dégage de cet ouvrage suggère son appartenance à deux mondes. Le premier est celui du management générique, discipline dont l’ambition d’universalité se fonde sur la communauté des traits, des problèmes de fonctionnement et de développement de toute organisation quels que soient sa finalité et son statut juridique. Le second est celui de la sphère du public à l’étude de laquelle se sont spécialisées avant le management public plusieurs disciplines comme le droit public, la science politique et la science administrative pour le moins. Cette double appartenance est source à la fois de richesses et de difficultés, qui tiennent, entre autres, au recours à une pluridisciplinarité renforcée par rapport à celle du management générique, ainsi qu’à la nécessité d’une réflexion portant sur les avantages comparatifs du management public par rapport aux autres approches des affaires publiques.

Mais ne pourrait-on pas considérer dans les travaux de recherche que le management public est un management d’un secteur particulier ?

D’un certain point de vue en effet le management public peut être considéré comme pris en tenaille entre le management générique et le management sectoriel (management de la santé, de la culture, territorial…). Le management générique par sa prétention à l’universalisme (qui lui est vivement reprochée par ailleurs par les anti-managerialistes) a vocation à traiter de la conduite des organisations publiques au même titre que de celle des entreprises. Le management sectoriel a pour lui la forte contextualisation de l’analyse que permet la spécialisation d’un chercheur ou d’un observateur dans un domaine précis. Le management public peut être vu comme apportant lui aussi une contextualisation mais de nature différente de celle du management sectoriel. La contextualisation du sectoriel a en effet trait à la prise en compte d’un environnement technologique, social, culturel et/ou économique alors que la contextualisation du management public a trait à la prise en compte du phénomène Etat, de la démocratie, des rapports de force au sein de la société et de l’environnement politique qui en résulte. Pour cette raison, nous pensons que le management public n’est en aucune façon assimilable au management d’un secteur.

Les débats sur la spécificité ou non d’un management public, plutôt que par des a priori ou des positions idéologiques, devraient être structurés par l’analyse des forces relatives des différentes pressions environnementales sur les problématiques gestionnaires. Si celles-ci sont secondaires, alors le management public ne se différencie guère du management générique ; si celles-ci sont dirimantes, alors sa différenciation est très forte. C’est en fait ce qu’a soutenu Sayre (Allison, 1986), ouvrant un débat toujours d’actualité, quand il a énoncé, de façon quelque peu provocatrice, que management public et management privé sont identiques pour ce qui est secondaire.

Quant au management sectoriel on peut le rattacher directement au management générique si, dans le secteur examiné, la force de l’environnement politique est limitée (voire absente pour les établissements privés) ou le considérer comme un sous ensemble du management public lorsque cette force est déterminante.