Pourriez-vous, en quelques phrases, nous présenter la chaire de l’innovation publique, en mettant notamment l’accent sur la singularité ou l’originalité du programme et les attentes qui en sont à l’origine ?
Depuis de nombreuses années, les administrations cherchent à modifier leurs manières de fonctionner et de s’organiser (parfois sous la pression des pouvoirs publics mais aussi des usagers). Ce sont l’informatisation et l’approche utilisateur qui vont permettre de retravailler ce fonctionnement.
Ces changements se veulent comme des améliorations des processus aussi bien décisionnels (par exemple, comment prendre en compte les connaissances académiques, les expériences singulières, les contraintes des administrations pour améliorer la qualité des décisions, voire la vitesse de ces décisions) qu’opérationnels (par exemple, comment prendre en compte l’expérience des usagers et leur proposer de nouveaux parcours).
Mais il ne faut pas que le numérique et le design favorisent uniquement une approche technique aux envies de transformation des services publics.
La chaire innovation publique a pour rôle de formaliser des connaissances, expérimenter des pratiques mais aussi former les intéressés (fonctionnaires, administratifs, politiques en particulier), afin que les choix soient justifiés.
Pour cela, elle s’appuie sur quatre Grandes Ecoles, ayant chacune une expérience propre : l’École Nationale de l’Administration (ENA), l’École Nationale Supérieure de la Création Industrielle (ENSCI), l’Ecole Polytechnique et Sciences Po Paris.
Ces différentes Ecoles ont une longue expérience de formation tout au long de la vie et une approche pédagogique par le projet.
Quel est l’environnement académique mais aussi sociétal dans lequel entend s’ancrer la chaire ? Quels sont ses atouts pour cela ?
La Chaire réunit donc quatre établissements prestigieux. L’initiative a été prise par l’ENA et l’ENSCI, il y a maintenant 2 ans. C’est l’approche de l’ENSCI qui apporte, au départ, la plus grande originalité dans le projet. Cette Ecole a une renommée internationale dans le design de processus et dans la pratique de l’expérimentation sur le terrain ; les idées et concepts ont été trop souvent ignorés dans le monde des services publics. Quant à l’ENA, elle est bien connue pour former les cadres à tous les niveaux de l’administration publique. Les deux autres établissements que sont Polytechnique et SciencesPo, outre leur renommée nationale et internationale, sont des acteurs majeurs de la recherche et de la formation des cadres de la nation.
Les membres fondateurs sont ici accompagnés par des partenaires issus d’établissements universitaires, comme l’Université Paris Est qui souhaite avoir un rôle central dans ce partenariat, en apportant leurs contributions scientifiques et leurs terrains d’expérimentations. C’est dans ce cadre que j’ai souhaité développé, avec le Professeur Olivier Meier, l’Observatoire « Action Sociétale et Action Publique » (ASAP). On peut également citer le monde de la santé avec les CHU ainsi que le domaine de la transmission des connaissances avec les INSPE (ex-ESPE).
Une chaire se caractérise par les activités qu’elle crée ou accompagne, pourriez-vous nous les présenter ?
La chaire est structurée en trois axes : un axe concernant le design et l’innovation de l’action publique (conception de politique publique innovante, modes de travail, …), un autre concernant le numérique (transformation du droit, rapport aux usagers, …) et le troisième concernant la gouvernance (pilotage de politique publique, immersions, e-démocratie, …). Le tout est chapeauté par un questionnement sur les nouvelles théories de l’état qui sont en œuvre. Plusieurs actions ont déjà été réalisées ou sont en cours de réalisation : ce que le numérique fait au droit (en cours avec la DINSIC), un module de formation sur l’innovation publique, un studio expérimental sur le Légal Design (en janvier 2019), un travail sur l’agence de demain (avec pôle emploi), le développement de projets innovants en lien avec le numérique …
Enfin, comment cette chaire s’inscrit-elle dans votre parcours personnel et plus particulièrement professionnel et scientifique ?
J’ai voulu m’impliquer dans cette chaire à la suite d’un projet transdisciplinaire qui s‘est déroulé entre 2014 et 2017 sur le thème de « Algorithmes et citoyenneté » au sein de l’Université Paris Est. C’est lors de ce projet que j’ai rencontré Mathias Béjean, responsable de l’axe sur le design et l’innovation au sein de cette chaire. Avec des travaux de recherche en informatique fondamentale (logique, calculabilité) mais plus spécifiquement sur la théorie des algorithmes, j’ai toujours eu des questionnements sur l’utilisation du mot algorithme par les non-informaticiens (ce mot n’étant que partiellement défini par les informaticiens eux-mêmes). Et comme ce mot est employé très fréquemment, je me suis dit qu’il fallait que certains spécialistes investissent les disciplines qui l’utilisent. J’ai acquis la conviction qu’à la fois il fallait s’assurer que le concept soit utilisé à bon escient mais aussi qu’il fallait écouter ceux qui l’employaient pour théoriser (ou non) ce qu’ils avaient en tête. De cette démarche sont nés plusieurs projets structurants, dont la création d’un Observatoire « Action Sociétale et Action Publique » qui réunit des enseignants chercheurs et des spécialistes reconnus dans le domaine de l’innovation publique.