Sociétal

Les ambassadeurs et ambassadrices du tri, un métier méconnu au service des collectivités, et une fonction singulière : promouvoir des écogestes

L’action collective pour permettre la valorisation des emballages a été fortement centrée sur l’organisation de collectes sélectives requérant un tri par les consommatrices et consommateurs chez eux. Le système de tri et de collecte implique un certain niveau de complication (il faut savoir ce qui se trie) et il n’est pas toujours aisé pour les citoyens et citoyennes de maîtriser les consignes. Afin de pallier cette difficulté, plusieurs stratégies sont mises en œuvre par les collectivités, incluant notamment des actions de sensibilisation. Elle peut passer au niveau local par des campagnes d’information (affichage, radio, etc.), des interventions en milieu scolaire, des interventions en pied d’immeuble et il existe également des opérations de sensibilisation en porte-à-porte. Celles-ci ont pour but d’expliciter les consignes de tri et de répondre aux éventuelles questions des habitantes et habitants. Ce sont les ambassadeurs et ambassadrices du tri (ADT) qui réalisent ces actions, souvent parmi un ensemble plus vaste de missions.

Le métier d’ADT est méconnu du grand public. Il s’agit, en outre, d’un métier doté de cette mission très singulière, qui consiste à sonner chez les gens afin d’informer et de promouvoir un geste citoyen dont la finalité est le bénéfice collectif. Les ADT ne vendent rien (comme peuvent le faire les démarcheurs ou vendeurs itinérants), ils ne demandent pas d’informations (comme peuvent le faire les agents du recensement, ou autres enquêteurs), ils proposent juste de l’aide pour accomplir un acte, qui est une responsabilité individuelle et qui est vu par la majorité de la population comme l’un des gestes les plus faciles à réaliser pour protéger la planète. C’est donc un métier assez unique, qui est au service d’une cause nécessaire et socialement validée (même si de nombreux débats existent sur les modalités) et qui pourtant n’est pas facile à exercer. En effet, depuis des années, les ADT sont confrontés à une difficulté croissante, notamment car le tri est entré dans les pratiques courantes. De nombreuses personnes n’acceptent pas de leur accorder de temps, alors qu’il y a toujours de nombreuses erreurs de tri, et leur action s’en trouve diminuée.

Une enquête par entretiens semi-directifs menée auprès de quinze ADT et quatre membres de leur encadrement, sur trois collectivités en 2015, nous a permis de mieux comprendre le métier d’ADT. En effet, les missions des ADT peuvent varier selon les collectivités.

La majorité des ADT caractérise le métier avant tout par sa finalité : l’ADT a pour fonction essentielle de promouvoir le tri, particulièrement en communiquant avec les habitantes et habitants. Le sens global du métier est donc bien intégré, clair et commun. Pourtant, cette cause « noble » ne suffit pas à susciter un fort sentiment de légitimité chez les ADT, qui ont la plupart du temps l’impression de déranger quand ils frappent aux portes, alors qu’ils ne prennent pourtant que quelques minutes aux personnes qui leur ouvrent et pour une raison nécessaire.

Nous avons également constaté, que la méconnaissance du métier s’étend jusqu’au sein du personnel des collectivités, parfois même dans des fonctions connexes comme au sein des équipes de ripeurs (éboueurs qui ramassent les bacs, et des rangs desquels sont issus certains ADT). Au sein de leur collectivité, les ADT rapportent ne pas toujours être très bien vus ni bien reconnus, sans raison valable à leurs yeux.

Fort d’une mission de service public et de développement durable, largement valorisée par la société, le métier d’ADT dispose d’un fort potentiel de fierté et de motivation. Cependant, certaines orientations organisationnelles entrainent un fort sentiment de manque de légitimité pour les ADT et par suite nuit fortement à leur capacité à réaliser leur mission de promotion du geste de tri. Cette légitimité pourrait pourtant être assez facilement construite à travers une meilleure visibilité de leur mission, certes inhabituelle mais également très citoyenne, en interne et en externe.

Dans le contexte d’une montée en puissance continue de la norme écologique (le sentiment qu’il est « normal » de ne pas détruire la planète) et d’un enjeu majeur d’accompagnement des pratiques individuelles pour réussir une transition (encore hypothétique) vers un mode de vie durable, ce métier, et ses problématiques, nous semblent exemplaires de la réalité de ce processus. En effet, face à l’objectif de déplacer les montagnes qu’est l’enjeu écologique, ils font partie de ceux qui passent leurs journées à porter les pierres. Il sera intéressant d’étudier l’évolution de son statut et de son image, mais aussi surtout des attentes que font porter sur lui les élus et les décisionnaires des orientations des politiques publiques, et d’aller jusqu’à voir le contraste entre ces attentes et la manière dont ces agents sont utilisés en pratique par les administrations publiques.

Xavier Brisbois et Lolita Rubens