Fin décembre 2021, la proposition de loi, porté par la députée Marie-Pierre Rixain a été adoptée. Il y a désormais obligation d’avoir, pour les entreprises d’au moins 1000 salariés, un quota de représentation de chaque sexe parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes des entreprises d’au moins 1.000 salariés : au moins 30 % de femmes en 2027, et 40 % en 2030. Les entreprises « hors la loi » devraient verser une amende égale à 1% de la masse salariale. Ce texte doit permettre aux femmes de pénétrer au sein même du vrai pouvoir économique.
Cette loi est dans la lignée de la loi Copé-Zimmermann qui en 2011 a imposé des quotas de femmes dans les conseils d’administration[1]. Cette loi a conduit la France à la première place en matière de féminisation des conseils d’administration tout juste devant la Norvège qui a choisi dès 2003 de mettre en place des quotas. Les femmes occupent 45,8 % des postes d’administrateur, contre 12,5 %, en 2010. Sodexo, Kering, Ipsos ou CGG sont au-dessus de 60%. Mais la loi Copé-Zimmermann n’a pas ruisselé sur les comités de direction qui restent encore très masculins. Les femmes ne représentent que 22 % de leurs effectifs au sein du SBF 120, contre 7 % en 2009.
Cette nouvelle loi doit se regarder à l’aune de la loi Copé-Zimmerman et de ses conséquences sur les comportements des entreprises. Dans un travail récent (Ossiba et Séverin, 2017) ont étudiés l’impact de la féminisation sur le contrôle de la qualité de l’information financière au travers de la manipulation des résultats comptables. Sur un échantillon de 143 firmes cotées sur Euronext entre 2011 (date de promulgation de la loi Copé-Zimmerman) et 2017 (date de l’obligation d’un quota de 40% de femmes dans les conseils), les résultats montrent des résultats instructifs. Si l’augmentation de la présence des femmes a conduit à une amélioration générale de la qualité des états comptables, il n’en reste pas moins que derrière ce résultat se cache une réalité plus contrastée. En distinguant deux types de firmes (affectées et non affectées)[2], l’étude met en évidence que les entreprises affectées ont vu une dégradation de la qualité de l’information financière en 2014 au contraire des entreprises non affectées. En revanche, la qualité de l’information des entreprises affectées gagne en qualité en 2017, date de l’obligation d’un quota de 40% de femmes au sein des conseils.
Comment alors expliquer ce résultat ? Premièrement en raison du rôle encore prégnant de la femme au sein de la vie domestique. Les femmes qu’elles soient aux 39 H ou aux 35 H consacrent de plus en plus de temps à leurs enfants. Cette tendance en hausse montre que le temps supplémentaire est réaffecté à du temps de qualité plutôt qu’à des tâches domestiques plus monotones. Deuxièmement, les quotas bousculent les habitudes des hommes. Ces derniers sont obligés de changer de stratégie. Ils doivent aller chercher, dans des réseaux qui ne leur sont pas familiers, des femmes pour se conformer à la loi. Au final, cette diversité peut avoir des effets positifs mais ces effets ne sont pas immédiats. En effet, toute activité nécessite de l’expérience et ce n’est qu’après un certain temps d’apprentissage que l’on peut mesurer les effets positifs ou négatifs des nouveaux entrants.
Des études académiques (Ye et al., 2010) ne parviennent pas à trouver une influence positive des femmes directrices sur la qualité de l’information; les auteurs expliquent leurs résultats en citant une étude de McKinsey & Company de 2007 qui montre que les femmes sont confrontées à plusieurs obstacles, tels que : l’occupation (équilibre entre le travail et les responsabilités domestiques), les problèmes de légitimité (efforts nécessaires pour être reconnues) et diverses perceptions sociologiques qui entravent leur réussite. Cependant, des attentes différentes en matière de rôle social peuvent également expliquer ce résultat, et le tokenisme peut être une cause des relations négatives entre les femmes administrateurs et la qualité de l’information comptable) si les femmes administrateurs sont choisies par les entreprises uniquement pour satisfaire les pressions sociales plutôt que pour répondre aux besoins réels des entreprises (García Lara et al., 2017; Srinidhi et al., 2011).
Au-delà de ces explications, il faut donc se monter prudent sur les impacts des quotas car ceux-ci peuvent êtres sources d’avantages et d’inconvénients. En effet, les effets réels de la législation obligatoire sur le genre ont été critiqués (Bender et al., 2016). Les adhérents anti-quotas affirment que les quotas de genre évincent les autres minorités, encouragent la promotion de femmes administrateurs inexpérimentées (Pande et Ford, 2011), et interfèrent avec le processus de nomination directe en réduisant les droits des actionnaires à nommer librement les administrateurs (Bender et al., 2015). À l’inverse, les pro-quotas accueillent favorablement ce type de législation, soutenant que les femmes administrateurs apportent des viviers de compétences complémentaires à ceux des hommes (Bender et al., 2015) et que les entreprises qui privent leur conseil de femmes peuvent être désavantagées par rapport aux entreprises qui incluent des femmes.
[1] La loi Copé-Zimmerman, comme celle portée par Marie-Pierre Rixain, obligeait les entreprises à porter le nombre d’administrateurs femmes à 20% en 2014 et 40% en 2017.
[2] Une entreprise non affectée est une entreprise qui avant l’obligation d’au moins 20% de femmes avant 2014 et d’au moins 40% avant 2017 avait un pourcentage de femmes proche des seuils légaux. Les entreprises affectées sont celles dont le pourcentage de femmes état très éloigné du seuil légal.
Références
Au total, le législateur devrait pouvoir tirer des premiers effets de la loi Copé-Zimmermann des éléments de réflexion sur les conséquences à venir de la loi Rixain.
Bender, A. F., Berrebi-Hoffmann, I., & Reigné, P. (2015). Les quotas de femmes dans les conseils d’administration. Travail, genre et sociétés, 2, 169-173.
Bender, A. F., Dang, R., & Scotto, M. J. (2016). Les profils des femmes membres des conseils d’administration en France. Travail, genre et sociétés, 1, 67-85.
García Lara, J. M., García Osma, B., Mora, A., & Scapin, M. (2017). The monitoring role of female directors over accounting quality. Journal of Corporate Finance, 45, 651-668.
McKinsey and Company. (2007). Women matter: gender diversity. a corporate performance driver note that although the analysis did not show a causal link, this research clearly argues for greater gender diversity among corporate leaders.
Ossiba, H., & Séverin, E. (2020). Board gender diversity and earings quality: Evidence from a gender quota in France, Congrès de l’Association Internationale de Gouvernance (AIG), Clermont Ferrand, décembre.
Pande, R. & Ford, D. (2011). Gender quotas and female leadership: A review. Background paper for the World Development Report.
Srinidhi, B., Gul, F. A., & Tsui, J. (2011). Female directors and earnings quality. Contemporary Accounting Research, 28(5), 1610-1644.
Ye, K., Zhang, R., & Rezaee, Z. (2010). Does top executive gender diversity affect earnings quality? A large sample analysis of Chinese listed firms. Advances in Accounting, 26(1), 47-54.