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Vers une clarification du principe d’homophilie dans la littérature sur les comportements numériques

Depuis les années 2000, les réseaux sociaux sont devenus un univers à part entière de la sphère digitale, au sein duquel marques comme individus interagissent via une multitude de modalités, justifiées autant par des possibilités techniques que par des mécaniques comportementales, l’une comme l’autre, en perpétuelle évolution.

Parmi ces mécaniques, le dévoilement de soi des individus, défini comme leur propension à divulguer des informations personnelles (Jourard and Lasakow, 1958), apparait comme un élément essentiel des stratégies des marques et des plateformes qui les hébergent dans la mesure ou les informations dévoilées sont indispensables pour améliorer les possibilités de ciblage comportementaux et publicitaires des entreprises (Acquisti, 2010), et la capacité des plateformes à pérenniser et à développer la cohésion au sein des communautés virtuelles, et notamment des groupes de discussion que rejoignent leurs membres (Yang et al., 2019).

De nombreux facteurs impactant le dévoilement de soi des individus ont déjà été étudiés par la communauté académique. Parmi ces facteurs, l’Homophilie, définie comme la volonté des individus à se rapprocher de ceux qui leurs sont semblables (Lazarsfeld and Merton, 1954), a déjà fait l’objet de nombreux travaux qui l’explicitent comme un modérateur positif voulant que plus les individus identifient leurs similarités, plus leur propension à se dévoiler s’en trouve positivement impactée (Peng et al., 2018).

Si l’homophilie a déjà été étudiée à travers deux catégories, consensuellement reconnues par les chercheurs, à savoir une homophilie induite, ou de statuts, reposant sur les critères sociodémographiques des individus, et une homophilie de choix, ou de valeurs, formalisée par les convictions et les intérêts communs autour desquels les membres se retrouvent (McPherson et al., 2001), le sociologue Pierre Rosanvallon suggère dans son ouvrage « les épreuves de la vie » que c’est parfois au travers de certaines épreuves, constituant un passif commun, que des individus peuvent se retrouver et concevoir un sentiment de proximité (Rosanvallon, 2021), posant ainsi les bases d’une nouvelle forme d’homophilie, ne reposant ni sur des similitudes sociodémographiques ni sur ces convictions partagées.

Dans ce contexte, certaines communautés virtuelles, réunissant des victimes de drames ou des personnes souffrant de maladies chroniques pas nécessairement graves, mais suffisamment spécifiques pour les distinguer des autres individus, peuvent être considérées comme entrant dans ce nouveau type d’homophilie comme nous désignons comme une homophilie d’épreuve (Levy, 2021). Or, si ces communautés ont déjà été étudiées dans de précédents travaux portant sur l’homophilie et le dévoilement de soi de leurs membres, elles ne l’ont jamais été en tant que communauté reposant sur une homophilie d’épreuve.

Ce constat amène à repenser l’approche visant à catégoriser l’homophilie, en ré interrogeant le concept et en en comparant les différents types afin de déterminer si certains types d’homophilie présentent des particularités évaluables, dès lors que nous nous intéressons au dévoilement de soi des membres, mais également à la méthodologie la plus adaptée et la plus éthique d’analyser l’impact du type d’homophilie sur les comportements des membres de réseaux sociaux.

L’enrichissement, ainsi attendu, n’est pas que méthodologique mais aussi managérial (Macinnis, 2011), dans la mesure où une vision plus exhaustive du concept d’homophilie et de ses différentes modalités doit également permettre aux entreprises de mieux comprendre la nature des communautés au sein desquelles elles font le choix d’interagir avec leurs différents publics.

Yann Levy

Bibliograhie

Acquisti, A., 2010. The Economics of Personal Data and the Economics of Privacy.

Jourard, S.M., Lasakow, P., 1958. Some factors in self-disclosure. The Journal of Abnormal and Social Psychology 56, 91–98. https://doi.org/10.1037/h0043357

Lazarsfeld, P., Merton, R., 1954. Friendship as a social process: a substantive and method-ological analysis. | BibSonomy [WWW Document]. URL https://www.bibsonomy.org/bibtex/299bc2f770fe54c340c868fba5cb7c192/l.sz. (accessed 8.30.23).

Levy, Y., 2021. Réseaux sociaux : quel impact des leviers de constitution des groupes de discussion sur le dévoilement de soi et l’engagement vis-à-vis du groupe (phdthesis). Université Panthéon-Sorbonne – Paris I.

Macinnis, D., 2011. A Framework for Conceptual Contributions in Marketing. Journal of Marketing 75. https://doi.org/10.2139/ssrn.1845968

McPherson, M., Smith-Lovin, L., Cook, J.M., 2001. Birds of a Feather: Homophily in Social Networks. Annu. Rev. Sociol. 27, 415–444. https://doi.org/10.1146/annurev.soc.27.1.415

Peng, J., Agarwal, A., Hosanagar, K., Iyengar, R., 2018. Network Overlap and Content Sharing on Social Media Platforms. Journal of Marketing Research 55, 571–585. https://doi.org/10.1509/jmr.14.0643

Rosanvallon, P., 2021. Les Epreuves de la vie: Comprendre autrement les Français. Editions du Seuil.

Yang, D., Yao, Z., Seering, J., Kraut, R., 2019. The Channel Matters: Self-disclosure, Reciprocity and Social Support in Online Cancer Support Groups, in: Proceedings of the 2019 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, CHI ’19. Association for Computing Machinery, New York, NY, USA, pp. 1–15. https://doi.org/10.1145/3290605.3300261